Masta Gavage

Masta Gavage

dimanche 23 juin 2013

Brasília

Je quitte le Minas Gerais pour m'enfoncer encore dans l'intérieur des terres, vers l'Etat du Goiás, qui fut choisi dans les années 1950 pour accueillir le District Federal, et donc plus particulièrement la nouvelle capitale, Brasília. Sortie de terre en à peine trois ans et demi, entre 1956 et 1960, elle est l'oeuvre du Président Juscelino Kubitschek, de l'architecte Oscar Niemeyer, de l'urbaniste Lúcio Costa et du paysagiste Roberto Burle Marx. Si la capitale est récente, l'idée de décongestionner la côte brésilienne, surpeuplée et captant l'essentiel du développement économique, est depuis longtemps l'obsession des empereurs et présidents du pays. En 1823, l'homme d'état José Bonifácio formulait par exemple le projet d'une nouvelle capitale dans l'intérieur des terres, permettant de mieux exploiter les richesses intérieures du pays. Ecarté, celui-ci connaît un nouveau souffle à la fin du XIXe siècle lorsque Dom Bosco, un prêtre salésien vivant à Turin, prophétise la naissance d'une nouvelle civilisation : "Trois générations après la mienne, sur les bord d'un lac, entre le 15e et le 20e parallèle sud, naîtra un terre promise" (1883). Ce rêve a un grand retentissement au Brésil, si bien que la Constitution de 1891 stipule que des terres doivent être allouées pour la création d'une nouvelle capitale.
C'est à l'arrivée au pouvoir de Kubitschek en 1956, après le suicide de Getúlio Vargas, que le projet est relancé. La région pauvre du Sertão est choisie pour accueillir la nouvelle ville, comme signe de la volonté du gouvernement d'associer toutes les régions au développement du pays. Des milliers de paysans pauvres du Nordeste viennent construire la ville, qui voit le jour très rapidement (trop, comme le reconnaît plus tard Niemeyer). Kubitschek voulait l'inaugurer au cours de son mandat, ce qu'il fait le 21 avril 1860, le jour de l'anniversaire de la mort de Tiradentes. Un lac de 42 km², le Paranoá, est également créé pour alimenter la ville.

Le Plano Piloto de Lúcio Costa. De haut en bas, d'ouest en est, l'Eixo Monumental.
Vue du ciel, la partie centrale de Brasília, appellée encore aujourd'hui Plano piloto, ressemble à un avion. Les principaux monuments conçus par Oscar Niemeyer sont disposés le long de l'Eixo Monumental ("axe monumental"), immense avenue est-ouest qui représente le fuselage de l'avion. Les zones résidentielles et commerciales se déploient quant à elles le long des Asas ("ailes") de l'avion. A droite de l'Eixo Monumental, on trouve ainsi l'Asa Norte ; de l'autre l'Asa Sul. Le principal axe nord-sud, qui traverse les ailes, est l'Eixo Rodoviário.

Vue aérienne de Brasília
Ces deux axes se croisent à l'Estacão Central, qui abrite également la gare routière.

L'Eixo Monumental, vu de la Torre da Televisão (en haut de l'axe)

. Le croisement entre les deux axes de la ville, l'Estacão Central et la gare routière
Dans le projet initial, Brasília devait symboliser la ville idéale telle qu'on la rêvait dans les années 1950-60. Les axes routiers ont ainsi été traçés larges et sans croisements à niveau, de façon à faciliter la fluidité du trafic. Tout les bifurcations se font par échangeur.

Le croisement des deux axes, à la gare routiére


La rodoviária, qui abrite l'Estação Central de métro
Au milieu de l'Eixo Monumental
Autre élément typique de la ville rêvée à cette période : la division fonctionnelle de l'espace urbain. De chaque côté de l'Eixo Monumental, différents quartiers ont été conçus, globalement assez hauts, par oppposition aux quartiers résidentiels des Asas, qui ne dépassent pas six étages.

Le Setor Hoteleiro Sul, secteur hôtelier situé au sud de l'Eixo Monumental
Le Setor Bancário Sul
Le Setor Comercial Norte
Le Setor Comercial Sul


Si les quartiers résidentiels sont dotés de petits commerces de proximité, deux grands centres commerciaux, les plus grands d'Amérique du Sud, bordent l'Eixo Monumental. Ils ont été conçus comme les principaux centres d'activité économique et sociale de la ville.

Le Patio Brasil, côté sud

Une impression de vide se dégage assez souvent...
Le Conjunto Nacional, côté nord, juste à côté de la Rodoviária
Au-delà du croisement principal, toujours le long de l'Eixo Monumental, vers l'est, vers le lac, sont ensuite disposées les réalisations emblématiques de la ville, d'Oscar Niemeyer.

Le Teatro Nacional
La Catedral Metropolitana, grande oeuvre de Niemeyer alliant verre et bêton



Entrée dans la Catedral par un long couloir noir, bas de plafond...
...qui accentue la sensation de hauteur et de luminosité à l'entrée. Les anges, sculptés par Alberto Ceschiatti (qui travaillait déjà avec Niemeyer sur la Pampulha), présentent une disproportion volontaire de taille, renforçant considérablement la perspective




A côté de la Catedral Metropolitana, le Museu Nacional
Un peu après, de chaque côté de l'Axe, les différents ministères, tous identiques pour leur donner une même importance
Seule exception : la Palacio Itamaraty, made in Niemeyer, qui abrite le Ministère des Affaires Etrangères.
A la fin de l'Eixo Monumental, la Praça dos Três Poderes ("Place des Trois Pouvoirs").

Côté sud, le Supremo Tribunal Federal. Niemeyer encore.
Devant, une statue de la Justice, avec une épée et les yeux bandés
En face, côté nord, le Palacio do Planalto, le palais présidentiel. Niemeyer toujours.
Au milieu, juste avant la Praça, et qui forme donc un triangle avec les deux autres pouvoirs, l'ensemble des bâtiments du pouvoir législatif. Les deux coupoles abritent les deux Chambres. La première, ouverte vers le ciel, libre, symbolisant l'ouverture à l'ensemble des idées, est le siège de la Chambre des députés. La seconde, fermée, de manière à chapeauter ces idées et à les rendre plus concrètes, est le siège du Sénat. Cette symbolique est évidemment l'oeuvre de Niemeyer.  Le grand batiment est occupé par des services administratifs.

Au centre de la place, la grande sculpture Os Candangos, de Bruno Giorgi, en mémoire des pionniers venus construire la nouvelle capitale.

Plus récent, qui ferme l'ensemble, le Panteão da Pátria, conçu et inauguré par Niemeyer en 1986, en l'honneur de Tancredo Neves. Il rappelle l'envol d'une colombe, en même temps que la forme du Brésil.



Au-delà de l'Eixo Monumental, bordant le Paranoá, on trouve le Setor de Embaixadas ("Secteur des Ambassades").

En longeant le lac vers le nord, le Palácio da Alvorada ("Palais de l'Aube"). Une des premières oeuvres de Niemeyer à Brasília, édifiée avant l'adoption du plan d'ensemble, ce qui explique sa position excentrée. C'est la demeure du Président de la République.


Pour traverser le Paranoá, on emprunte le Ponte Juscelino Kubitschek, inauguré en 2002.





De l'autre côté du lac, des grandes résidences de sénateurs, députés et ministres.


Dans les ailes de l'avion ont été disposés les quartiers résidentiels, organisés en "superquadras". Lúcio Costa a défini ainsi une unité résidentielle, dotée de commerces de proximité, d'espaces verts et de différents services : crêche, école, église et centre de soins. L'ensemble était grandement inspiré des conceptions de Le Corbusier.

Le cercle bleu entoure un superquadra, composé d'une dizaine de bâtiments, avec un centre un espace vert.  La flèche blanche montre une école, commune à quatre superquadras. Entre deux blocs, une rue commerçante (flèche jaune).
Les superquadras portent des numéros à trois chiffres,qui les placent très précisément par rapport aux deux Eixos. Les adressent sont donc du type : SQS 307, bloco A, casa 29 ; SQS signifiant "Superquadra Sul". 
Les immeubles rèsidentiels possèdent de grandes fenêtres du côté des appartements et sont ouverts au rez-de-chaussée. C'est ainsi que les a conçus Lúcio Costa, pour donner un sentiment de transparence.




De l'autre côté, une façade très différente (du côté des services de l'immeubles, laveries notamment)
Certains espaces verts ont été élaborés par Burle Marx
A la demande de la première dame du pays, Niemeyer a conçu en 1958 l'église du premier superquadra construit : l'Igreja Nossa Senhora  de Fátima. Sa façade est ornée d'azulejos et son toit a la forme d'une coiffe religieuse.
Conçu comme des quartiers de vie idéaux, ils apparaissent étonnemment vides. Les habitants restent globalement chez eux, et se déplacent en voiture directement vers les centres commerciaux de l'Eixo Monumental, si bien que les commerces de proximité sont pour certains délabrés. En dépit des restrictions imposées par le classement du Plan pilote de Brasília au Patrimoine mondial de l'Unesco (on ne peut en théorie absolument rien modifier au plan d'origine), les syndicats de co-propriétés privatisent de plus en plus chaque bâtiment, en y rajoutant grilles, espaces verts et systèmes de sécurité. Les habitants semblent vivre entre leur domicile et leur lieu de travail. L'idéal originel de mixité n'a pas tellement pris.






Les bâtiments de Niemeyer et les grands espaces verts de Burle Marx ont malgré tout rendu la ville respirable, face à l'urbanisme ultra-rationnel, de pure ligne droite, de Lúcio Costa.

De l'autre côté de la Torre da Televisão, une foire hebdomadaire
L'Estádio Mané Garrincha, qui va accueillir quelques matchs de la prochaine coupe du monde, même s'il n'y a pas de grand club de foot à Brasília.
Au sud-ouest de la Torre commence le grand Parque municipal.


Démo de capoeira. Enfin des gens.
Un mini-parc d'attraction



Putain, même un circuit de kart






Autre monument étonnant, élaboré par l'architecte Carlos Alberto Neves, le Santuário Dom Bosco.



A l'intérieur, des milliers de verres bleus et mauves de Murano.




Et le Temple de la Boa Vontade, un des sièges de la Legião du même nom, une grande organisation religieuse.









Autour du Plano piloto, 32 cités-satellites se sont développées de façon totalement spontanée, sans aucune planification. Prévue à l'origine pour 500 000 habitants tout au plus, la ville est aujourd'hui une agglomération de 3 millions d'habitants. Fait inattendu à l'origine, les pauvres venus construire la ville ne sont pas repartis et ont vu dans ce territoire des possibilités d'ascension économique et sociale. Or la capitale n'avait été strictement conçue que pour accueillir le siège du pouvoir politique : élus et fonctionnaires, qui comptent parmi les classes les plus aisés dans le pays. Ils n'ont donc pas pu se loger dans le Plan pilote et l'agglomération s'est étendue, et continue de s'étendre, de façon anarchique, notamment vers le sud-est et l'ouest. La dichotomie est donc forte entre un centre riche, assez vide compte tenu de l'espace utilisé, où beaucoup vivent assez repliés, et des populations pauvres s'agglutinant autour sans trouver l'emploi espéré, puisque la ville n'a pas de réelle base productive. Elle ne vit globalement que du revenu généré par la sphère politique et administrative, ainsi que de l'économie présentielle qui se greffe autour.


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